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Les juges de l’action administrative 2021- 2022 - www.lex-publica.com - © M. Coulibaly  40/63

            2 - L’opportunité controversée des actes de gouvernement


                   Plusieurs thèses ont été avancées par la doctrine pour justifier l'existence d'actes non justi-
            ciables.



            a - Explication politique
                   L'acte de gouvernement illustre la permanence de la raison d'État. Au XIXème siècle, pro-
            gressivement et subrepticement, le juge administratif a soumis l'administration à son contrôle. En
            compensation, il lui a laissé une zone de liberté, un domaine réservé : le domaine des actes de gou-
            vernement.
                   Du reste, initialement, le juge administratif tenait pour acte de gouvernement tout acte inspiré
            par un mobile politique ou dicté par un intérêt politique : CE, 9 mai 1867, Duc d’Aumale et Michel Lévy
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            (Rec. p. 472 ; conclusions Aucoc) .
                   Cette approche a été officiellement abandonnée avec l’arrêt CE, 19 février 1875, Prince Napo-
            léon-Joseph Bonaparte, n° 46707 (Rec. p. 155 ; conclusions David). En l’espèce, le commissaire du
            gouvernement David observe : « […] pour présenter le caractère exceptionnel qui le mette en dehors
            et au-dessus de tout contrôle juridictionnel, il ne suffit pas qu'un acte, émané du gouvernement ou
            de l'un de ses représentants, ait été délibéré en conseil des ministres ou qu'il ait été dicté par un
            intérêt politique ; il faut encore qu'il se rattache directement à l'un des objets pour lesquels des
            pouvoirs généraux ont été confiés au gouvernement par la loi. »



            b - Explication de science administrative
                   Par l’arrêt Prince Napoléon-Joseph Bonaparte, le Conseil d’État renonce donc à caractériser
            l'acte de gouvernement par la nature politique des mobiles qui le sous-tendent. Il retient un nouveau
            critère : la nature de l’acte révélée par la distinction entre gouvernement et administration.
                   Selon Laferrière, « administrer, c'est assurer l'application journalière des lois, veiller aux rapports
            des citoyens avec l'administration et des diverses administrations entre elles. Gouverner, c'est pourvoir aux
            besoins de la société tout entière, et veiller à l'observation de sa constitution, au fonctionnement des grands
            pouvoirs publics, aux rapports de l’État avec des puissances étrangères, à la sécurité intérieure et exté-
            rieure. »
                   L’acte de gouvernement se rattache à la fonction gouvernementale, qui est distincte de la
            fonction administrative. Le juge administratif ne doit connaître que des actes se rattachant à la fonc-
            tion administrative. L’acte de gouvernement n’est pas un acte administratif. Voilà pourquoi il béné-
            ficie d'une immunité juridictionnelle. On a déjà souligné que la formule De minimis praetor non cu-
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            rat  justifiait l’irrecevabilité des recours dirigés contre certaines mesures d’ordre intérieur. La formule
            inverse, due à Vattel, expliquerait l’immunité juridictionnelle des actes de gouvernement : De maxi-
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            mis praetor non curat .










            1  La mesure par laquelle le préfet de police a prescrit la saisie des exemplaires d'un livre publié par un prince de l'une
            des familles qui ont régné sur la France et la décision du ministre de l'intérieur qui a confirmé cette mesure ne peuvent
            être déférées pour excès de pouvoir au conseil d'État statuant au contentieux. Ce sont des actes politiques.
            2  Le juge ne s’occupe point de causes insignifiantes.
            3  Le juge ne s’occupe point de causes trop importantes.
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