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Les juges de l’action administrative 2021- 2022 - www.lex-publica.com - © M. Coulibaly 41/63
Cette nouvelle théorie engendre un certain progrès contentieux puisqu’elle réduit considéra-
blement le domaine de l'acte de gouvernement. Le temps n’est plus où l’on considérait que la nomi-
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nation à un emploi public ne pouvait donner lieu à aucun recours contentieux .
Seulement, la distinction entre gouvernement et administration ne brille pas par son évidence.
Le nouveau critère est flou, son maniement hasardeux. Et puis la catégorie des actes de gouvernement
se réduit progressivement ; il faudrait donc admettre hardiment que certains actes changent de nature.
Le juge ne tarde pas à abandonner le critère de la nature de l’acte.
c - Explication juridique
Ce nouvel abandon a conduit certains auteurs à se détourner des explications théoriques et à
proposer une explication purement juridique. Selon eux, ce sont les règles même du contentieux
administratif qui justifient l'irrecevabilité des recours contre les actes de gouvernement. En consé-
quence, pour Michel Virally, la théorie de l'acte de gouvernement est introuvable ; Donnedieu de
Vabres est catégorique : « La théorie des actes de gouvernement est très simple : il n'y en a pas. »
Les formules font sensation, mais elles n’emportent guère l’adhésion. Il n’est pas effective-
ment démontré que les règles du contentieux administratif s’opposent à tout recours dirigé contre un
acte de gouvernement.
Seule semble devoir emporter l’adhésion une explication fondée sur des considérations d’op-
portunité politique. On relève alors un double souci chez le juge :
le souci de ne pas contrarier les différentes manifestations du suffrage universel,
le souci de ne pas compromettre la conduite des relations internationales de la France.
Raymond Odent observe : « L'acte de gouvernement est actuellement un acte accompli par le pou-
voir exécutif, dans ses relations avec une autorité échappant à tout contrôle juridictionnel, c'est-à-dire prin-
cipalement le législateur ou une puissance étrangère ; c'est un acte mixte, que le Conseil d'État, démembre-
ment du pouvoir exécutif, ne se reconnaît pas compétence pour contrôler : s'il se livrait à ce contrôle, il
risquerait ou bien de rendre des arrêts qui ignoreraient volontairement une fraction souvent essentielle des
aspects du litige, ou bien d'excéder sa compétence en appréciant des activités législatives ou internatio-
nales. » 2
Au demeurant, le gouvernement dispose d’un moyen pour empêcher le juge de connaître des
actes de gouvernement. En effet, l'article 26 de la loi du 24 mai 1872 confère aux ministres le droit
« de revendiquer devant le Tribunal des conflits » les affaires portées devant le Conseil d’État statuant
au contentieux « et qui n'appartiendraient pas au contentieux administratif ». 3
Toutefois, dans ses conclusions, précitées, sur l’affaire Prince Napoléon-Joseph Bonaparte,
le commissaire du gouvernement David se voulait optimiste : « Si les actes qualifiés, dans la langue du
droit, actes de gouvernement, sont discrétionnaires de leur nature, la sphère à laquelle ils appartiennent ne
saurait s’étendre arbitrairement au gré des gouvernants. »
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1 Des arrêts des 10 août et 23 novembre 1825 avaient infligé à des avocats au Conseil d'État des amendes de 30 et 50
francs pour avoir signé des recours contre des actes de nomination. Les motifs retenus étaient on ne peut plus clairs :
ces actes « ne peuvent en aucun cas donner lieu à un pourvoi devant nous par la voie contentieuse ».
2 Raymond Odent, op. cit. p.397
3 Laferrière a interprété cette disposition comme excluant la compétence du Conseil d'État pour connaître des actes de
gouvernement - Traité de la juridiction administrative. Il s’agirait donc d’une sorte de consécration législative de l’exis-
tence des actes de gouvernement.