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Les juges de l’action administrative 2021- 2022 - www.lex-publica.com - © M. Coulibaly  43/63

                     1. Pour certaines décisions individuelles, l’avis est conforme - le Gouvernement est lié par
                        l’avis du Conseil d'État.
                        Exemple : retrait d’un décret de naturalisation.
                     2. Dans les cas de consultation obligatoire sur des projets de textes, la liberté du Gouverne-
                        ment se trouve réduite. Après la consultation, il peut seulement retenir son texte initial ou
                        le texte adopté par le Conseil d'État ; il ne saurait prendre un troisième texte différent à la
                        fois du texte initial et du texte adopté par le Conseil d'État. Sinon, il y aurait défaut de
                        consultation du Conseil d'État sur ce qui différencie le troisième texte des deux autres.
                   L’avis est délivré par l'Assemblée générale ou la Commission permanente. En principe, il
            n’est pas publié. En 2006, le Conseil d’État a rendu 1 411 avis.
                   Il arrive que le Conseil d’État statuant comme juge paraisse contredire le Conseil d'État con-
            seiller du gouvernement : CE, Ass., 20 mars 1964, Konarkowski ou CE, 6 février 1998, M. Tête (RFDA 1998
            p.407, conclusions H. Savoie). Dans ces deux affaires, le Conseil d’État a annulé un décret pris après
            avis du Conseil d’État. Mais, les avis n’étant publiés qu’avec l’accord du gouvernement, on ne saurait
            dire avec certitude si la contradiction est réelle ou non (Cf. aussi infra B, sur la question du déport).
                   Outre cette fonction consultative, le Conseil d'État procède également à des études, publie des
            rapports et formule des propositions.
                   Dans une moindre mesure, les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel
            exercent aussi des attributions administratives. Ils délivrent des avis aux préfets de leur circonscrip-
            tion.

            B - Intérêt
                   On estime généralement que cette dualité d’attributions – conseiller et juge – donne au juge
            administratif un poids considérable vis-à-vis des autorités administratives. Elle concrétise le vieux
            rêve d’une juridiction qui
                        d’une part, « donne aux citoyens toutes les garanties d’un jugement réel » ;
                        d’autre part, « donne à l’administration la certitude que ses juges seront pénétrés de son
                        esprit et familiers de ses besoins » - Vivien de Goubert, Cf. Introduction générale.
                   Mais cette dualité est-elle conforme à la Convention européenne des droits de l’homme ?
                   Une décision de la Cour européenne des droits de l’homme avait soulevé quelques interroga-
            tions : CEDH, 28 septembre 1995, Affaire Procola c/ Luxembourg. En l’espèce, le Grand-Duché du
            Luxembourg avait adopté, après avis du Conseil d’État luxembourgeois, une loi et un règlement re-
            latifs à des quotas laitiers. Sur la base de ces textes, des arrêtés ont été pris qui fixaient les quotas.
                   Jugeant ces quotas insuffisants, la société Procola a formé un recours en annulation contre
            lesdits arrêtés. Déboutée, elle saisit la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière a con-
            damné le Grand-Duché au motif que le comité du contentieux ne constituait pas un tribunal impartial
            au sens de la Convention européenne des droits de l’homme :
                   « La Cour constate qu'il y a eu confusion, dans le chef de quatre conseillers d'État, de fonc-
                  tions consultatives et de fonctions juridictionnelles. Dans le cadre d'une institution telle que
                  le Conseil d'État luxembourgeois, le seul fait que certaines personnes exercent successive-
                  ment, à propos des mêmes décisions, les deux types de fonctions est de nature à mettre en
                  cause l'impartialité structurelle de ladite institution.  En l'espèce, Procola a pu légitimement
                  craindre que les membres du comité du contentieux ne se sentissent liés par l'avis donné
                  précédemment. Ce simple doute, aussi peu justifié soit-il, suffit à altérer l'impartialité du tri-
                  bunal en question, ce qui dispense la Cour d'examiner les autres aspects du grief. »

                   Toutefois, on conteste généralement que l’affaire Procola puisse avoir un impact sur le Con-
            seil d’État français. En effet, une pratique bien établie veut que les membres du Conseil d’État s’abs-
            tiennent de participer au jugement d’une requête s’ils ont pris part, en formation administrative, à une
            délibération sur un texte ou un avis relative à la même affaire. Cette pratique conduit ainsi au déport
            (décision de ne pas siéger) des personnes concernées.
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