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Les juges de l’action administrative 2021- 2022 - www.lex-publica.com - © M. Coulibaly  63/63

                   Les deux requêtes ne s’appuyaient pas sur les mêmes arguments ou moyens.
                   Mieux inspiré, l’avocat du général Revers a mis en avant un vice de procédure. Le décret du 21 juin
            1950 a été pris après avis du Conseil supérieur de la guerre. Or, les attributions et la composition de ce conseil
            ont été fixées par un décret simple et non par un décret en Conseil des ministres comme l’exigeait la loi.
            Cette irrégularité entache la légalité du décret du 21 juin 1950. Le Conseil d’État estime que le moyen et le
            raisonnement de l’avocat du général Revers sont fondés ; en conséquence, il annule l’article 2 du décret du
            21 juin 1950.
                   L’avocat du général Mast n’a soutenu ni le même moyen ni le même raisonnement. Il a mis en avant
            d’autres arguments juridiques. Le Conseil d’État ne les a pas jugés fondés, et il a rejeté le recours formé par
                                         er
            le général Mast contre l’article 1  du décret du 21 juin 1950.
                   Il est évident
                     1. que si l’avocat du général Mast avait soutenu, comme son confrère l’avait fait pour l’article 2,
                        er
                                                                       1
            que l’article 1  était entaché du vice de procédure décrit ci-dessus , le Conseil d’État aurait également annulé
            cet article qui était aussi illégal que le suivant ;
                                                                         er
                     2. que le Conseil d’État savait pertinemment que l’article 1 , comme le suivant, était entaché d’un
            vice de procédure. Mais il a respecté un principe : il n’appartient pas au juge de se substituer aux parties et
            de soulever à leur place des moyens propres à entraîner l’annulation des décisions attaquées. Ce principe est
            discutable parce que des décisions que le juge sait illégales échappent à toute censure en raison de la mala-
            dresse ou de l’ignorance des requérants.
                   Voilà pourquoi il y a une exception à cette passivité de principe du juge : l’existence d’un
            moyen d’ordre public. On appelle ainsi, un vice, une illégalité, un argument, un moyen que le juge
            peut soulever d’office à la place du requérant. La définition des moyens d'ordre public relève du juge.
                 9 Exemple : L’incompétence est un moyen d’ordre public. Un administré défère une décision ad-
            ministrative à la censure du juge - recours pour excès de pouvoir. En examinant la requête, le juge réalise que
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            ladite décision a été prise par une autorité incompétente. En principe , le juge retiendra cet argument, même si
            le requérant n’y a pas pensé. Il en informera préalablement les parties pour qu’un débat contradictoire ait lieu
            autour de ce moyen - décret du 22 janvier 1992. En revanche, le vice de procédure n’est pas un moyen d’ordre
            public. C’est pourquoi, dans l’exemple précédent, le Conseil d’État ne l’a pas relevé d’office à la place de
            l’avocat du général Mast.
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                  Ź Comment le juge annonce-t-il et traite-t-il tous ces moyens ?
                  Ź Réponse : voir infra, la décision du juge, page 68.

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                   Dans le cas de requête jugée abusive, son auteur encourt une amende qui ne peut excéder
            10 000 € - Article R.741-12 du code de justice administrative. En principe, si le requérant obtient satis-
            faction, sa requête ne saurait être regardée comme abusive. Mais, en appel, on a pu voir un requérant
            condamné à une amende alors même qu’il avait obtenu l’annulation du jugement entrepris : CE, 4
            avril 1990, Bert. En fait, le Conseil d’État a annulé le jugement pour vice de procédure. Puis, après
            évocation, il a rejeté au fond les prétentions du requérant.



                  9 Exemples étonnants de recours abusifs : CE, 28 novembre 2006, M. Jacques A, n° 299089
            et CE, 26 juin 2007, M. Jacques A, n° 306691. Dans ces deux espèces, le requérant était le même, un
            ancien magistrat de l’ordre judiciaire.
                   Dans la première espèce, il soutient qu’ « eu égard à la circonstance que le Conseil d’État
            subordonne le respect du droit à ce que veut bien admettre son Vice-Président issu du Secrétariat
            général du Gouvernement, il faut ordonner la dissolution de cette institution pour refonder la Ré-
            publique française sur des bases dignes d’elle ».

            1  Il a mis en avant d’autres vices de procédure.
            2 En principe seulement, parce que le moyen serait inopérant si l’administration avait compétence liée - Cf. infra.
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