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Le service public - 2021-2022 - www.lex-publica.com - © M. Coulibaly 13/72
La théorie du service public virtuelle plaçait les personnes privées dans une situation
d’incertitude quant au régime juridique ultérieur d’une activité qu’elles choisissent a priori d’assurer
sur un marché. On a pu soutenir qu’elle débouchait sur une gestion par inadvertance du service public.
Critiquée par la doctrine, elle est restée sans lendemain jurisprudentiel.
Sans aller jusqu’à faire revivre la théorie du service public virtuel, le Conseil d’État a admis, dans un
er
avis en date du 18 mai 2004 relatif à la Cinémathèque française (association soumise à la loi du 1 juillet
1901), l’idée d’un service public créé spontanément par une personne privée et reconnu a posteriori par une
1
personne publique - CE, Sect., 18 mai 2004, Avis n° 370.169 ; EDCE 2005, p. 185 .
4 - Service public et attributions naturelles de l’État
Selon certains auteurs, le service public correspond à une donnée objective. Il suffit d'en constater
l'existence. Et cette constatation se fonde sur la nature même de l'activité exercée. Il existe des tâches
constituant objectivement des services publics, un domaine naturel du service public. C'est la thèse du service
public par nature. Dans ses conclusions sur TC, 22 janvier 1921, Colonie de la Côte d’Ivoire c. Société
commerciale de l’Ouest africain, n° 00706 – « Arrêt du bac d’Eloka » - le commissaire du gouvernement
Matter rend compte de cette thèse : « Il faut entendre par "service public" une organisation gérée par un
organe de l’administration publique en vue de l’accomplissement de la fonction administrative de l’État. Ainsi
ne seront services publics que ceux organisés par l'État ou l’un de ses démembrements en vue d'accomplir
un acte normal de sa fonction, pour atteindre son but naturel. […] Certains services sont de la nature, de
l'essence même de l'État ou de l’administration publique. »
Quelle valeur juridique peut-on accorder à cette approche du service public ?
En 1997, le Conseil d’État a utilisé l’expression « service public par nature » lorsqu’il a statué sur un
recours dirigé contre un décret relatif aux bases de données juridiques - essentiellement Legifrance :
« Considérant que la mise à disposition et la diffusion de textes, décisions et documents juridiques
de la nature de ceux mentionnés à l'article 1er, précité, du décret attaqué, dans des conditions adaptées à
l'état des techniques, s'appliquant, sans exclusive ni distinction, à l'ensemble de ces textes, décisions et
documents - et notamment de ceux dont la diffusion ne serait pas économiquement viable - et répondant
aux exigences d'égalité d'accès, de neutralité et d'objectivité découlant du caractère de ces textes,
constituent, par nature, une mission de service public au bon accomplissement de laquelle il appartient à
l'État de veiller ; » - CE, 17 décembre 1997, Ordre des avocats à la Cour de Paris, n° 181611.
Toutefois, il serait déraisonnable d’énoncer une règle générale à partir de cette référence au service
public par nature :
d’une part, parce que dans l’espèce précitée, le décret lui-même avait qualifié les bases de données
en question de service public, même si cette qualification, donnée par voie réglementaire, ne lie pas
le juge,
d’autre part, parce que le domaine du service public est essentiellement contingent ; le juge a
reconnu le caractère de services publics à des activités auxquelles il l’avait naguère ou jadis refusé,
et inversement.
Exemple : En 1906 (CE, 5 décembre 1906, Ville de Lyon, Rec. 892), puis en 1916 (CE, 7 avril 1916,
Astruc et Société du théâtre des Champs-Élysées, Rec. p. 163), le Conseil d’État estime que
l’exploitation d’un théâtre n’est pas un service public :).
1 « Compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, les missions en cause sont constitutives d’un service public culturel,
nonobstant le fait que la Cinémathèque soit née d’une initiative privée. […]
La mission exercée par la Cinémathèque ne correspond donc pas à une dévolution de la part de la puissance publique
d’un service public. Elle s’analyse en la reconnaissance par l’État du caractère d’intérêt général de l’action menée par
l’association, assortie d’un droit de regard étendu sur ses activités et d’une contribution financière importante accordée
annuellement par le canal du CNC. » - CE, Sect., 18 mai 2004, Avis n° 370.169 ; EDCE 2005, p. 185